Je traiterai ici de l’infini pouvoir des parents sur l’enfant lorsque celui-ci est perçu, en conscience ou non, comme l’ultime possibilité de vivre ce que l’on aurait aimé vivre, de recevoir ce que l’on aurait rêvé posséder, d’être ce que l’on a jamais pu être. Un enfant comme réceptacle de ses fantasmes mais également de ses terreurs profondes. Un enfant qui répare.
Nous parlerons ici de l’impossible défi que représente, pour l’enfant, le fait d’exister et d’être sans décevoir. Comment exister, affirmer ses désirs propres sans trahir ? Une identification projective parentale nécessaire. Je commencerai par parler de la nécessité de l’identification projective pour la construction de l’identité. Les identifications projectives des parents sur leurs enfants sont en lien avec leur passé. Lorsque ce passé est vécu comme positif, les identifications projectives prennent une dimension empathique:« Ce sont des images de l’enfant aimé que les parents se sont sentis être durant leur enfance ou bien celles de parents qu’ilsont aimés. Elles contribuent à l’inscription de l’enfant dans sa lignée » E. Zemansky in Gestalt 2007/ 1 (n°32) (4)
L’enfant n’est pas un vase vide que le parent doit remplir, il va interagir. Il est ledépositaire des « objets internes » de ses parents, il ressemble à la tante, à la grand-mère etc…Il reçoit en héritage, un passé, une histoire préexistante. Il s’inscrit dans une lignée. Il vientde « quelque part ». Le parent se réinscrit alors également, à travers la relation avec son enfant, dans sa famille.Les identifications projectives agissent comme des organisateurs du lien affectif entre les parents et les enfants.
Elles permettent aux parents de s’approprier leur enfant, de l’identifier avant même la naissance. « Il bouge beaucoup, il est nerveux, comme son père, il ne bouge pas énormément,c’est un calme, comme ma soeur etc.. » Autant d’interprétations, liées ou non à une réalité,qui permettent aux parents d’identifier l’enfant à naître comme « le leur ».« Tout bébé représente l’inconnu, l’énigmatique et ses parents ont besoin de le dire, de pouvoir se le représenter, pour créer du lien avec lui. » E. Zemansky (5) in Gestalt 2007/ 1 (n°32) (5)
Lors d’une naissance, émergent des émotions et attitudes conscientes ou semi-conscientes quise manifestent dans le choix du prénom, la confirmation des ressemblances physiques ou de caractère, permettant de mettre à jour des identifications projectives.Celles-ci peuvent donc avoir un but de recherche de relation, de communication, et il s’agit alors d’un dynamisme structurant.
Pierre Aulagnier dans « L’apprenti historien et le maître sorcier » parle d’une identification aliénante mais nécessaire.Je citerais ici une phrase du talmud: « Nul n’a rien réglé s’il n’a réglé sa filiation«
L’identification projective permet donc une construction progressive de l’individualité dans sa famille et plus largement dans sa culture. Un mécanisme permettant la structuration du Moi.« Je » ne peut être qu’en répétant dans un premier temps les pensées à fonction identifiante du parent. » P. Aulagnier in « l’apprenti historien et le maître sorcier ».
Identifier son enfant en se projetant en lui est donc nécessaire. Les travaux de Bowlby, ont largement contribué à mettre en évidence les conséquences d’une absence de lien transférentiel mère-enfant. Absence ne permettant pas de mettre en place l’attachement indispensable à la construction de l’individu.
Ainsi, la relation narcissique des parents avec l’enfant (en tant que représentation d’eux-mêmes) coexistant avec une relation objectale ou l’enfant est aimé en tant qu’être différencié est un schéma classique et nécessaire.La relation narcissique, si elle est progressivement dépassée par une relation objectale dans laquelle l’enfant est reconnu et aimé en tant qu’être différent, ne sera pas à l’origine de problèmes de développement.
En revanche, dans le cas où cette relation narcissique prédomine, ne laissant pas de place à l’existence de l’enfant en tant qu’être différent, des problèmes précoces de développement oudes difficultés psychologiques plus tardives sont à prévoir. »Les scénarios narcissiques de la parentalité peuvent donc être surmontés et s’intégrer au développement harmonieux des relations parent-enfants; mais ils peuvent aussi être pathologiques dans la mesure où ils interfèrent dans ce développement et entrent en conflit avec la réalité et notamment avec la réalité de l’existence d’un enfant en croissance qui ne correspond pas à la projection qu’on a déposé sur lui. » J. Manzano, F. Palacio Espasa,N.Zikha in Les scénarios narcissiques de la parentalité PUF (7)Pour que ces identifications projectives ne soient pas trop aliénantes, c’est-à-dire qu’elles n’occupent pas toute la place et permettent à l’enfant « réel » d’exister, il faut une élaboration positive des deuils passés du parent en ce qui concerne ses propres parents. Ce qui n’est jamais totalement le cas.
Lorsque l’identification projective devient toxique. Il existe plusieurs types d’identifications projectives: Le parent qui voit en son enfant, l’enfant qu’il a été lui-même.Il s’agit alors de projection directe: la représentation de soi est directement projetée sur l’enfant. L’enfant représente l’enfant idéal que le parent aurait voulu être. Le parent qui voit en son enfant, ses propres parents et qui s’identifie lui-même, dans sa relation à l’enfant, à l’enfant qu’il était. Il s’agit alors de projection indirecte: L’enfant est investi de l’image de quelqu’un d’autre, comme un père ou une mère décédée. Dans ces cas la projection parentale va devenir aliénante et problématique pour le développement psychique de l’enfant.
(image mise en avant de james-wheeler-RRZM3cwS1DU-unsplash)